J’ai pris le temps d’analyser l’avant-projet de Constitution proposé par le Conseil National de la Transition (CNT) pour notre pays. S’il contient des avancées majeures, comme l’interdiction de la peine de mort, le renforcement des droits humains, ou la promotion de la diversité, certaines zones d’ombre juridiques doivent interpeller chaque citoyen.
Nous commençons par l’article 77 qui indique que le Président de la République, une fois élu, doit cesser toute activité ou responsabilité au sein de son parti politique. Une rupture salutaire avec la présidentialisation partisane. Mais comment concilier cela avec le fait que ce même Président nomme un tiers des membres du Sénat (article 110) ?
Il semble donc se retirer du jeu politique tout en conservant, indirectement, une main sur la composition du pouvoir législatif, ce qui affaiblit l’esprit de neutralité présidentielle revendiqué dans le texte.
L’autre point, le projet annonce que le Président peut être poursuivi pour haute trahison ou autres crimes devant une Cour spéciale (article 163). C’est un progrès.
Mais il reste muet sur la question de l’immunité pendant l’exercice du mandat : peut-il être poursuivi en cours de mandat ou seulement à son terme ? Cette imprécision ouvre la porte à des interprétations divergentes, voire à des abus, dans un contexte politique où la confiance dans la justice reste fragile.
La création d’un Sénat (article 91) est présentée comme un gage de stabilité institutionnelle. Mais ici aussi, l’équilibre démocratique est questionné :
Un tiers des sénateurs est nommé par le Président ;
Le Sénat ne peut être dissous, contrairement à l’Assemblée nationale.
Comment justifier une chambre haute partiellement non élue bénéficiant d’une immunité institutionnelle face au suffrage universel ? Ce déséquilibre pourrait fragiliser la légitimité de certaines décisions politiques majeures.
Le Président oriente la politique nationale (article 63), dispose du pouvoir réglementaire, et nomme à la quasi-totalité des postes de décision, y compris après simple audition au Sénat (article 66).
En parallèle, le Parlement, pourtant bicaméral, voit son champ d’action réduit par des compétences partagées parfois mal définies (articles 114 et 115).
On est alors en droit de se demander : sommes-nous dans un régime parlementaire, semi-présidentiel ou présidentialiste ? Le texte semble hésiter, laissant craindre un recentrage du pouvoir entre les mains du Chef de l’État, au détriment des équilibres démocratiques.
Enfin, l’article 115 sur les compétences partagées entre les deux chambres évoque des thématiques floues telles que la « cohésion sociale », la « bonne gouvernance », ou encore « la promotion du dialogue ».
Ces expressions, peu juridiques, pourraient devenir le socle de conflits d’interprétation ou de blocages parlementaires, surtout si les deux chambres sont issues de majorités divergentes.
Ce projet de Constitution mérite d’être salué pour son ambition républicaine : droits humains renforcés, interdiction de la peine de mort, reconnaissance de la diversité nationale…
Mais il gagnerait à être précisé, clarifié et équilibré, notamment en ce qui concerne la neutralité présidentielle, la représentativité du Sénat, et la séparation des pouvoirs.
À l’heure où la Guinée cherche à renouer avec une stabilité durable, une Constitution crédible et cohérente est un impératif. Et pour cela, il faut non seulement écouter les juristes, mais aussi la société civile, les journalistes, les citoyens.
Aliou Nasta, journaliste et analyste politique
Discussion about this post