Conakry, le 22 novembre 2024 – Quarante ans après la mort du président Sékou Touré, le débat sur le Camp Boiro, tristement célèbre centre de détention et de torture sous son régime, continue de diviser les Guinéens. Alors que des témoignages poignants évoquent les atrocités commises dans ce lieu, d’autres dénoncent une exagération des faits. La question se pose : faut-il organiser un procès pour tourner la page sur ce sombre épisode de l’histoire guinéenne ?
Sous le régime de Sékou Touré, le Camp Boiro était le théâtre de nombreuses violations des droits humains. Prisonniers politiques, élites, femmes et enfants auraient subi tortures, privations et exécutions sommaires. Selon certains témoignages, la « diète noire », consistant à priver les détenus de nourriture et d’eau jusqu’à la mort, y était une pratique courante.
Bien que le nombre exact de victimes reste incertain – certaines sources évoquent 50 000 morts –, l’impact psychologique et historique de ce camp reste indéniable. Le changement de nom en « Camp Camayenne » et la démolition de certains bâtiments ne suffisent pas à effacer les douleurs du passé.
De nombreux citoyens, comme Alseny, intervenant lors de l’émission « Appel sur l’actualité » de Juan Gomez (RFI), estiment qu’un procès est indispensable. « Il faudrait qu’on ait un procès sur les atrocités que le régime de Sékou Touré a fait subir à nos parents et grands-parents », a-t-il déclaré. Pour eux, un tel procès permettrait de rendre justice aux victimes et de garantir que ces crimes ne se répètent plus.
D’autres plaident pour la conservation de ce lieu comme un site de mémoire, à l’image des camps nazis en Europe, afin de préserver le souvenir des atrocités et d’éduquer les générations futures.
Cependant, certaines personnalités, comme Ousmane Bangoura, relativisent l’ampleur des faits. « Il y a beaucoup d’exagérations. Les témoignages viennent souvent de ceux qui ont vécu des conditions difficiles en détention, mais cela ne reflète pas nécessairement toute la vérité », affirme-t-il.
Cette controverse souligne également les tensions politiques et idéologiques autour de l’héritage de Sékou Touré. Si certains attribuent les abus à un contexte de guerre froide marqué par les ingérences étrangères – notamment l’opération Persil orchestrée par la France –, d’autres pointent la responsabilité directe du régime dans la mise en place de ce système répressif.
Maître Tall, avocat et défenseur des droits humains, rappelle que, peu importe le nombre de victimes, un seul mort suffit pour justifier un procès. « La justice doit établir les faits, rendre hommage aux victimes et réconcilier la nation avec son histoire », affirme-t-il. Selon lui, un procès ne vise pas seulement à punir, mais aussi à restaurer la dignité des victimes et à prévenir les abus futurs.
Alors que la Guinée tente de se réconcilier avec son passé, la nécessité d’un procès sur le Camp Boiro soulève des questions essentielles : peut-on construire une nation unie sans affronter les pages sombres de son histoire ? Le silence est-il une forme de pardon ou un obstacle à la réconciliation ?
Quarante ans après, le Camp Boiro demeure un symbole de douleur, mais aussi un appel à la justice et à la mémoire collective. La balle est désormais dans le camp des autorités guinéennes et de la société civile pour décider si, oui ou non, ce chapitre sera enfin clos de manière digne et juste.
Aliou
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