Paradoxalement, dans un pays où les artistes devraient incarner la conscience populaire, nombre d’entre eux deviennent les vecteurs d’un discours creux, opportuniste et sans colonne vertébrale idéologique. La démagogie guinéenne ne se contente plus de pourrir l’espace local : elle s’exporte désormais avec une audace qui force le malaise. L’exemple le plus récent, et tristement révélateur, est celui d’Élie Kamano.
Autrefois figure de proue d’une contestation courageuse, Élie Kamano a fait partie de ceux qui, à un moment donné, ont osé dire non. Mais très vite, l’indignation s’est muée en adhésion aveugle. Le soutien affiché à la junte du colonel Mamadi Doumbouya a sonné comme un reniement de ses principes proclamés. Aujourd’hui en rupture avec le CNRD, le reggaeman, visiblement en quête de nouveaux horizons, tente une reconversion politique… au Burkina Faso.
Dans une mise en scène savamment orchestrée, Élie Kamano a demandé la nationalité burkinabè, au nom de son engagement panafricain et de son admiration pour le capitaine Ibrahim Traoré. Un hommage déguisé ? Un appel du pied ? Un appel à l’aide ? Une chose est sûre : cette démarche, teintée d’opportunisme, s’inscrit dans une stratégie de survie politique et artistique. Car quand on ne peut plus capitaliser sur la colère populaire chez soi, on la recycle ailleurs.
La récupération des symboles révolutionnaires, comme l’image de Thomas Sankara, n’est pas anodine. Elle répond à un besoin de légitimation, de crédibilité, de camouflage. Mais entre l’idéalisme radical de Sankara et les sorties spectaculaires d’Élie Kamano, il y a un gouffre idéologique. Porter un boubou rouge ne fait pas de vous un révolutionnaire. Se réclamer d’un héros africain n’efface pas les contradictions.
La Guinée, malheureusement, semble avoir normalisé la duplicité : soutenir un régime aujourd’hui, le combattre demain ; se dire engagé, tout en s’acoquinant avec les puissants ; dénoncer la répression, tout en flirtant avec les dictatures. Cette culture de l’ambivalence n’est pas seulement l’affaire des politiques. Elle gangrène aussi une partie de l’intelligentsia et des artistes.
Et pendant ce temps, les vraies voix engagées, celles qui dénoncent sans chercher à monnayer leur courage, sont réduites au silence ou reléguées dans l’ombre. Elles ne crient pas avec les loups. Elles ne demandent pas de nationalité. Elles paient parfois leur engagement au prix fort, dans la solitude ou l’exil.
Alors que reste-t-il ? L’amertume. Et une question brûlante : comment espérer bâtir une société intègre, lorsque le mensonge, la trahison et la démagogie deviennent des outils de carrière ? Lorsque même ceux qui devraient éclairer le peuple choisissent de se fondre dans la pénombre des intérêts personnels ?
La Guinée est riche, oui. Mais à quoi bon des ressources naturelles si nos valeurs sont minées de l’intérieur ? Tant que l’on continuera à valoriser les discours plutôt que les actes, les slogans plutôt que les engagements sincères, le pays restera enfermé dans une spirale où la trahison est récompensée, et où l’hypocrisie devient une stratégie nationale.
Aliou Nasta, journaliste
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