Le 28 mars 2025, à la surprise générale en Guinée, une grâce présidentielle a été accordée à Moussa Dadis Camara, ancien président du pays. Cette décision a été annoncée par le général Amara Camara, porte-parole de la présidence, à la télévision nationale. Il a révélé que le président actuel, le général Mamadi Doumbouya, avait décidé de libérer l’ex-chef de la junte pour des raisons de santé. Le 29 mars, l’avocat de Dadis a confirmé que ce dernier avait quitté la maison centrale de Conakry la veille au soir. Deux jours après cette annonce, plusieurs organisations de défense des droits humains ont réagi, exprimant leur profonde indignation.
La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA ont vivement réagi, dénonçant une décision qui compromet gravement le processus de justice pour les victimes du massacre du 28 septembre 2009. « Cette grâce suscite une très grande incompréhension des parties civiles car elle interrompt de facto le processus de justice et apparaît en totale contradiction avec les principes encadrant la séparation des pouvoirs et la bonne administration de la justice », a déclaré Me Alpha Amadou DS Bah, président de l’OGDH.
Ce dernier a également souligné qu’il existait « d’autres dispositions légales permettant d’accorder une prise en charge médicale dans le cadre de la détention, qu’il s’agisse de Monsieur Moussa Dadis Camara ou de tout autre détenu ».
Quant à la présidente de l’AVIPA, Asmaou Diallo, elle a également exprimé la frustration des victimes. « Pendant 22 mois, et malgré les difficultés tout au long de ce procès hors normes, les victimes sont restées mobilisées et ont gardé l’espoir de voir cette œuvre de justice aller jusqu’à son terme pour rétablir la vérité, leur rendre justice et réparation », a-t-elle déclaré.
Cependant, elle a ajouté que « les victimes apprennent, quasiment dans le même temps, la prise en charge de leur indemnisation par le budget national et la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara. Ceci est indigne de la quête de justice qu’elles mènent avec abnégation pour qu’enfin on puisse dire ‘plus jamais ça’ en Guinée ».
Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH, a partagé un avis similaire. Selon lui, cette décision est perçue comme un affront aux victimes et un retour en arrière sur les engagements de la Guinée envers la justice internationale et la lutte contre l’impunité. « La grâce présidentielle envoie un signal désastreux, démontrant un mépris pour les principes fondamentaux de justice, de responsabilité et de lutte contre l’impunité », a-t-il déclaré.
Le massacre du 28 septembre 2009, où des manifestants pacifiques ont été violemment réprimés par les forces de sécurité guinéennes, reste un point central de l’histoire récente du pays. Au moins 156 personnes ont été tuées, de nombreuses autres ont disparu et des centaines de femmes ont subi des violences sexuelles horribles. Après 13 ans de bataille pour la justice, le procès qui a débuté en 2022 représentait un espoir pour les victimes. La présence d’acteurs internationaux comme le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, témoignait de l’importance de ce procès pour la justice mondiale.
Cependant, cette grâce présidentielle, survenue après que Camara ait été condamné à 20 ans de prison en 2024, marque un retour en arrière pour les victimes. Comme le rappelle la FIDH, cette décision viole les principes du droit international, y compris le Statut de Rome de la CPI, qui oblige les États à poursuivre les responsables de crimes graves comme ceux commis lors du massacre. « Cette grâce va également à l’encontre des principes constitutifs de l’Union Africaine et des droits consacrés par la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples », soulignent ces organisations.
La décision de libérer Moussa Dadis Camara, bien que fondée sur des raisons de santé, a donc été perçue comme un coup dur pour la justice. Pour les victimes, cette justice doit aller au bout de son processus. « La mémoire des victimes, le respect des droits humains et l’exigence de vérité ne peuvent être sacrifiés sur l’autel des considérations politiques », a conclu Me Drissa Traoré.
Aliou
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