Lors de sa visite qui s’est achevée hier à Conakry, Ousmane Sonko, désormais Premier ministre du Sénégal, a brillé par son silence sur une question qui continue pourtant de secouer l’actualité sociopolitique guinéenne : l’arrestation et la détention d’acteurs politiques et de la société civile.
Un silence qui étonne, voire blesse, tant il contraste avec la solidarité que ces mêmes acteurs lui avaient témoignée, au moment où lui-même faisait face à la répression de l’ancien régime de Macky Sall. En son temps, ils l’avaient soutenu.
Ils avaient dénoncé son arrestation, jugée arbitraire et politique. Ils avaient élevé la voix, au nom des principes démocratiques et de la justice. Aujourd’hui, alors qu’ils sont à leur tour confrontés à l’enfermement, la voix du nouveau chef du gouvernement sénégalais reste muette. Une réserve qui laisse perplexe. Une absence de position publique qui interroge.
La realpolitik a-t-elle pris le dessus ?
Certains parleront de prudence diplomatique. D’autres y verront un choix stratégique, dicté par les exigences du pouvoir. Car gouverner, c’est aussi jongler entre principes et intérêts, entre valeurs défendues hier et équilibres à préserver aujourd’hui.
Mais faut-il pour autant rester indifférent face à ce que beaucoup considèrent comme des emprisonnements politiques ? Peut-on prôner la rupture et le panafricanisme chez soi, et refuser d’exprimer la moindre empathie envers des voix réduites au silence juste de l’autre côté de la frontière ?
La métamorphose du leader
L’attitude de Sonko nous confronte à une réalité politique universelle : Le passage du statut d’opposant à celui de dirigeant transforme le discours, tempère les ardeurs, et parfois, refroidit les engagements.
Cela soulève une question centrale : La mentalité d’un leader politique est-elle fondamentalement différente de celle d’un chef de gouvernement ?
En apparence, la réponse est oui. L’opposant interpelle, dénonce, se montre solidaire des opprimés. Le dirigeant, lui, doit composer, préserver, équilibrer. Il agit sous la contrainte de la raison d’Etat, souvent au détriment des idéaux qui l’ont porté au pouvoir.
Mais ce glissement, s’il peut être compréhensible, n’est pas nécessairement excusable. Car il dit beaucoup sur la nature réelle des convictions affichées dans l’opposition. Un idéal qui ne survit pas à l’épreuve du pouvoir était-il sincère ou simplement stratégique ?
Une déception à la hauteur des espoirs
Les acteurs guinéens incarcérés n’ont pas seulement dénoncé une injustice. Ils ont espéré qu’un homme qu’ils avaient soutenu, hier victime du même sort, s’élèverait à son tour pour défendre l’essentiel : la liberté d’expression, la justice équitable, le respect des droits.
Mais c’est un silence diplomatique qu’ils ont reçu en retour. Froid, poli, presque gêné.
L’Afrique a besoin de leaders qui ne changent pas de discours une fois qu’ils changent de fonction. Elle a besoin de dirigeants capables d’allier l’exigence morale de l’opposant à la responsabilité politique du gouvernant.
Ousmane Sonko nous avait promis un nouveau souffle. Il appartient désormais à l’histoire de juger si ce souffle n’était qu’un vent passager, ou une véritable brise de cohérence et de courage.
Abdoulaye Kaback Camara
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